Turbulences dans l'aérien et l'aéroportuaire - Sénateur Gérard LAHELLEC

Turbulences dans l'aérien et l'aéroportuaire

Turbulences dans l'aérien et l'aéroportuaire

 

 

Dans le contexte particulier que traverse le transport aérien, les territoires desservis sont confrontés à un risque de remise en cause de leurs dessertes, d'une part en raison de la situation de faillite des concessions aéroportuaire sans activité ni chiffre d’affaire depuis mi-mars et contraintes à ce stade au chômage partiel pour les salariés et, d'autre part, en raison du désengagement de la compagnie nationale Air-France sur le court courrier, c'est à dire sur les dessertes des régions du territoire national.


Ceci a pour effet de tarir les trésoreries des concessions, déjà bien à la peine pour équilibrer leurs comptes.


Les concessions en capacité de mobiliser le PGE le feront obligatoirement et verront leur développement bridé par ce fardeau du remboursement.

 

A ces situations objectives s'ajoute maintenant l'orientation politique nationale qui, au motif de considérations écologiques bien légitimes, tend à pousser la compagnie nationale Air France à abandonner certaines liaisons internes afin, nous dit-on, de privilégier ainsi l'usage du train


Le plan gouvernemental : un risque de coup de grâce pour la compagnie nationale…et pour les territoires…

 

En effet, la garantie à 90 % par l'Etat des prêts que contracterait Air France pour un montant maximal de 4 milliards d'euros et pour une durée de 12 mois (avec possibilité de deux extensions d'un an) ainsi que l'octroi d'un prêt de l'état actionnaire de 3 milliards d'euros pour une durée de quatre ans (avec là aussi deux possibilités d'extension d'un an) sont conditionnés à une exigence curieuse.


En échange de cet « avantage » accordé à Air France d'emprunter pour partie sur le marché et pour l'autre partie auprès de son actionnaire, Air France devrait, selon le Ministre des finances, « renoncer » à transporter en France des passagers là où le train le permet en moins de 2h30 ».

 

Cette exigence qui conditionne l'autorisation de s'endetter pour Air France risque de se transformer en coup de grâce car cette incitation à abandonner son activité domestique sans l'interdire aussi aux autres compagnies n'a pas de sens, ni au plan économique ni au plan « écologique ». De plus, ce serait affaiblir l'opérateur national au profit des autres au seul profit des compagnies européennes qui ont le libre droit de s'installer sur n'importe quelle ligne européenne, donc sur n'importe quelle ligne domestique.

 

Air France n'avait pas besoin de ça !

 

De fait donc, cette motivation politique poussant à l'abandon de l'utilisation de l'avion sur le court courrier vient conforter la stratégie néo libérale de l'homme d'affaires Britanno-Canadien « Ben » Smith nommé directeur général d'Air France-KLM en août 2018 après avoir été le numéro 2 d'Air Canada. Cette stratégie libérale a déjà conduit la direction du groupe Air-France à abandonner un certain nombre de lignes parfois rentables mais jugées insuffisamment profitables au regard des objectifs que se fixe le groupe. Le groupe AIR France va réduire la flotte de HOP! de moitié et effectuer la transformation envisagée de son réseau court courrier en 2ans au lieu de 5 ans (avant Covid).

 

Ainsi, en région Bretagne nous avons assisté à une véritable « saignée » des dessertes du territoire par Air-France et par sa filiale HOP! qui va même jusqu'à se désintéresser des lignes d'obligation de service public (OSP). Cette stratégie est d'autant plus préoccupante pour la région Bretagne qui fut le siège historique de la compagnie aérienne régionale BRIT'Air créée le 26 juillet 1973, devenue filiale d'Air-France et fusionnée au sein de la compagnie Hop! Depuis le 31 mars 2013.

 

La plateforme aéroportuaire de Morlaix voit 97% de son activité dédiée à Hop! Pour des activités de maintenance aéronautique. La charge annuelle de gestion de l'aéroport, assurée par les collectivités publiques est estimée à 450 K€ tandis que celles-ci se doivent maintenant d'envisager des travaux importants de réfection de la piste, travaux indispensables pour recevoir les aéronefs venant y assurer leur maintenance technique.

 

Qu’en sera-t-il des désertes bretonnes à l’issue de la transformation du groupe AF indispensables au maintien des activités économiques et touristiques.

Les territoires les plus riches vont maintenir les liaisons aériennes au détriments des territoires moins riches qui seront donc maintenu en déclin.

 

Remplacer l'avion par le train?

 

Si l'on veut que l'après Covid soit mieux que l'avant il ne suffit pas de croire que le train va remplacer l'avion. On observera que durant les trente dernières années, rien n'a été fait pour rendre l’intermodal pratique et compétitif. Orly n'est desservi que par la gare de Massy sans autre connexion que le taxi ou le bus, et la très mauvaise desserte ferroviaire de Roissy (faibles fréquences, horaires inadaptés et nombre de quais insuffisant) ainsi que la lenteur du contournement de Paris (au financement duquel participent pourtant les régions dont la région Bretagne) rendent le ferroviaire peu efficace.


En outre, le gouvernement ne s'engage pas en faveur d'investissements ambitieux pour le développement du rail!


Enfin, les flux de trafic domestique de point à point contribuent à l'équilibre économique de l'ensemble. Renoncer à ces trafics modifierait les équilibres économiques des compagnies, ce qui ne serait pas sans conséquences sur leurs stratégies de desserte des territoires.


Et la Bretagne, dans cet environnement?


Certes, on note une tendance de fond au développement des liaisons décentralisées et à destination de l'Europe au détriment des liaisons vers Paris. En 20 ans, les liaisons Paris-Régions sont passées de 40% à 20% du trafic total. Les aéroports Bretons ne font pas exception à cette tendance. Cet argument est aussi mis en avant comme un facteur crucial de développement, particulièrement dans les régions desservies par le TGV. A ce titre, Rennes, Brest et Quimper peuvent être cités mais dans le même temps, on relèvera que le groupe Air France s'est désengagé de la liaison Brest-Amsterdam à peine un an après avoir initié son déploiement!


L'autre tendance lourde est le métropolisation avec concentration du trafic sur 7 grands aéroports régionaux à plus de 3 Millions de passagers, et dans une moindre mesure sur 9 aéroports dits « métropolitains », où sont classés Brest et Rennes qui concentrent 80% du trafic de la Bretagne administrative.


Sur les 20 dernières années, Brest fait partie des 5 aéroports à avoir franchi largement la barre du million de passagers pour atteindre 1,250 million et en croissance de 9 % en 2019. Tous les aéroports (Lille, Biarritz, Bastia et Ajaccio) sont en forte croissance.


Parmi tous les aéroports à moins de 1 million de passagers par an, Rennes a connu la deuxième plus forte progression sur 20 ans (après Carcassonne qui doit son développement uniquement au low cost).


Sur la gouvernance, la situation Bretonne est très particulière et ne peut être comparée qu'à la situation Corse. Il n'y a que 12 aéroports en France dont la propriété est régionale: 4 sont Bretons, 4 sont Corses et 4 autres sont dispersés et isolés dans leurs régions respectives à côté d'aéroports restés nationaux ou gérer par syndicat mixte.
- Cette situation fait que la Bretagne est parfois citée comme un modèle.
- Le fait (assez rare) que ces aéroports soient tous à l'équilibre d'exploitation est à mettre à l'actif de la stratégie de mutualisation des plateformes (Rennes-Dinard, Brest-Quimper) ce qui permet de conforter les missions de chacune d’entre elles, de conforter ce que nous apprécions comme leur utilité publique en réduisant la contribution publique pour assurer les équilibres.

 

Plutôt que le tout libéral sous tendu par les orientations en cours, il vaudrait mieux conforter les stratégies portées par une grande ambition publique régionale!

 

Ainsi, en Bretagne, outre le fait que les aéroports régionaux sont tous à l'équilibre d'exploitation, il convient d'observer aussi que ni la collectivité publique ni les contrats de concessions ne financent le développement des liaisons low cost qui ne peuvent pas constituer à elle seules un modèle de développement durable du transport aérien!

 

L'illusion du Low cost!

 

La pédagogie ambiante tend à chercher à accréditer l'idée que la solution découlerait de la multiplication des compagnies low cost, prétendument capables d'offrir des vols moins chers... qu'un masque FFP2! A qui fera-t-on croire que ceci constituerait un modèle sain et durable? Comment imaginer qu'on puisse continuer à promouvoir des tarifs irréalistes à 1 euro de ces compagnies qui font payer le billet non par le passager mais par l'argent public des subventions qui leur sont offertes en mettant les territoires en concurrence entre eux. Tandis que dans le même temps on exigera d'Air France le remboursement de ses prêts!


La région Bretagne n'entend pas financer sur les deniers publics ces compagnies (qui ne cotisent même pas) sans siège en France et qui ont bâti l'essentiel de leur réussite sur le contournement des lois sociales françaises élémentaires. Avec en France plus de 100 aéroports susceptibles d'accueillir les compagnies low cost, ces dernières vont font monter les enchères entre les aéroports et c'est celui qui donnera le plus de subventions qui obtiendra l'ouverture de nouvelles lignes ! encore davantage dans cette période de redémarrage mesuré du trafic. Les aéroports sont tous sollicités par les demandes des compagnies.


Faute de régulations nous courons à la catastrophe.


Prendre en considération la diversité des vocations des aéroports.

 

Avec 9 plateformes aéroportuaires la Bretagne est la région de France qui connaît la plus grande densité d'infrastructures aéroportuaires.

 

Il convient cependant de distinguer et de prendre en considération les statuts et vocations de ces différents aéroports qui ne relèvent pas tous de la compétence du conseil régional et n’ont pas du tout la même vocation ni le même modèle économique.

 

 

 

En application des lois de décentralisation (lois Raffarin du 13 août 2004), le conseil régional de Bretagne a négocié avec l’État la prise de compétence pour les aéroports totalisant au moins 100 000 passagers par an. (Brest, Rennes, Quimper et Dinard, l'aéroport de Lorient demeurant un aéroport militaire relevant donc de la compétence de l’État).


Cette prise de compétence, en devenant propriétaire et autorité concédante de ces plateformes, ne signifie nullement un abandon de l'intérêt porté par la région aux activités assurées sur les autres sites!

 

Ainsi:
- La plateforme de Morlaix (qui relève de l'autorité de la communauté d'agglomération) abrite des activités de maintenance et de formations aéronautiques essentiellement dédiées à HOP!
- La plateforme de Dinard qui a vu chuter sa fréquentation en raison du désengagement de Ryan-Air est indispensable pour pérenniser les activités industrielles de SABENA_TECHNICS qui reçoit des aéronefs du Monde entier.
- La plateforme de Quimper est une plateforme d'utilité publique pour la connectivité de la Cornouaille Bretonne au reste du Monde; c'est aussi cette raison d'être qui a motivé l'affectation d'une OSP à la liaison aérienne avec Orly.
- La plateforme militaire de Lorient Lann-Bihoué, qui accueille des activités civiles gérées par la CCI du Morbihan (concessionnaire de l'Etat) voit ses opérations de maintenance du site co financées par les collectivités…

 

Ce sont là autant d'illustrations de situations qui demandent à être confortées et qui, demain, pourraient être compromises par des choix nationaux hâtifs et hasardeux.


Et demain?

 

Les inconnues qui planent sur les conséquences de la stratégie déjà si libérale d'Air France, le choix gouvernemental qui tend à la conforter, les inconnues qui planent sur la réouverture d'Orly et le redémarrage des liaisons OSP, la tentation de l’État d'engager de nouveaux «délestages» pour en transférer les charges aux collectivités ajoutés aux difficultés financières des concessions, privées de recette depuis le 17 mars, font planer de lourdes menaces sur les dessertes aériennes de nos territoires.


Les analystes ont des prévisions de trafic pour 2020 au tiers des trafics nominaux.

 

Les aéroports et les compagnies aériennes retrouveront les trafics 2019 au mieux dans 3 ans au pire dans 5 ans. Nul doute que cela dépendra de la richesse des territoires concernés.


Ces deux secteurs d’activités sont liés et seront sinistrés pour leur économie et leur modèle social jusque-là en croissance continue. Les plans sociaux sont déjà engagés par les compagnies, les aéroports vont potentiellement suivre la même voie.

 

Cette situation de crise, pour être surmontée, aura besoin d'une grande ambition publique partagée entre tous les acteurs ayant en charge de faire vivre notre économie et la vie sociale sur l'ensemble du territoire.

 

On attribue à Odilon Barrot, Président du Conseil en 1848-1849 la célèbre Phrase: « avec la déconcentration, c'est le même marteau qui frappe mais on en a raccourci le manche » j'ajouterais, peut-être pour taper plus juste?

 

En tout cas, telle ne peut pas être la conception moderne que devrait avoir l’État de la décentralisation !