Hommage à Marcel Le Guilloux - Sénateur Gérard LAHELLEC

Hommage à Marcel Le Guilloux

Hommage à Marcel Le Guilloux

 

 

Le vendredi 14 juin 2024 à 14h30 à Lanrivain, j'ai rendu hommage à Marcel Le Guilloux, figure de la scène bretonne et maitre du kan ha diskan, qui a fait danser de sa « simple » voix des générations de passionnés de festoù-noz durant plusieurs décennies.

 

 

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Cher Marcel,

 

Kan ha diskan a roe kalz ha plijadur d’an dud,

Kan ha diskan a roe ivez sklerijenn d’ar vuhez,

 

Tu es là, cher Marcel, et ta famille, Gilbert et Didier, m’ont fait l’honneur de me demander de prononcer ces quelques mots.

 

Je le fais donc en ma qualité de sénateur siégeant à la commission de la culture du Sénat et nous savons tous que tu étais chevalier des Arts et des Lettres.

 

Je le fais aussi en raison de la proximité de nos relations et en signe de toute ma reconnaissance pour la qualité de votre accueil toujours chaleureux à Crec’h Morvan et j’y associe bien sûr André Leroux et son épouse qui était aussi ta sœur.

 

La proximité de nos relations s’établissait donc à Crec’h Morvan et je ne résiste pas à y associer le souvenir de Hippo et Léa Nicolas avec qui nous avions toujours plaisir à nous y retrouver.

 

Tu étais né ici, à Lanrivain en 1930, et outre ta magnifique culture Bretonne, tu avais aussi une autre culture citoyenne issue tout droit des pages magnifiques et généreuses de la résistance et des maquis du Centre Bretagne. Disant cela, je sais aussi combien les habitants de la commune de Lanrivain ont été marqués par cette période et par le sort connu par la famille Thoraval dont un des leurs, Joseph, fut fusillé le 10 décembre 1941 au Mont-Valérien.

 

Né en 1930, paysan, chanteur et conteur, tu prenais un immense plaisir à transmettre ton art aux nouvelles générations d’artistes depuis les années 50. Aussi bien dans les festoù-noz, que dans les nombreux stages que tu encadrais dans le Kreiz-Breizh et au-delà, pour transmettre tes connaissances et parler de ta passion sans limite pour le Kan ha Diskan.

 

Ayant appris le Breton auprès des locuteurs natifs de Bretagne qu’étaient mes parents et mes grands-parents, j’éprouve comme un sentiment de proximité avec ce que fut la vie et l’engagement de Marcel.

 

Disant cela, je pense à cette transmission des savoirs et de ces complaintes, de ces ancrages populaires auxquels nous devons presque tout.

 

C’est ainsi que notre culture s'est construite dans le temps pour arriver aujourd'hui jusqu'à nous. Je pense qu'il ne faut jamais l'oublier.

 

Lorsque j’avais dit cela pour la première fois, Marcel était ce grand jeune homme fêtant ses 80 ans ici même dans cette salle.

 

Souvenons-nous ; Marcel était un enfant un peu méprisé, rejeté parce qu'il était un peu différent des autres enfants de son âge. Ce n'est qu'à son adolescence que l'on va découvrir qu'il souffrait d'une petite pathologie qui le rendait presque aveugle. Marcel avait donc développé comme un sixième sens ; il apprenait tout par cœur ; le chemin pour se rendre à l'écurie et à l’étable ; le chemin pour aller jusqu'aux champs mais aussi les paroles des chansons, les Gwerz et récits qu'il entendait. C'est ainsi qu'il est devenu celui qu'il était et qui, après avoir communiqué son savoir à des dizaines de plus jeunes n’hésitant pas à « en pousser une » avec Yann-Fanch, Erik et vous autres réunis ici aujourd’hui.

 

Comme Marcel, socialement, nous n'avions pas des habits de marques, étions chaussés de sabots, étions placés à l'internat et n'avions pas chez nous pas plus qu’à Crec’h Morvan les premiers rudiments du confort.

 

En me souvenant de ces épisodes, en me rappelant tout cela je me dis que ces choses-là sont consubstantielles de notre Bretonnité.

 

Et c'est ici que se niche un de nos problèmes car c'est par exclusion de notre culture et de notre enracinement, avec tout ce qu'il comporte, que nous nous sommes approprié le français ! Je pense que cette question devrait continuer à interroger fortement car elle pointe quelque part ce que devrait être une République moderne...

 

C'est peut-être ici qu'il faut chercher l'origine de la motivation de ce qui constituera ma deuxième remarque : la question populaire.

« Assurer le maintien et la transmission du Breton populaire » disait le texte adopté par le conseil régional en 2004 et je pense qu’il faut continuer à s’engager dans ce sens.

 

Il faut faire attention à ces tendances normatives qui consistent à confier à des spécialistes, n'ayant de comptes à rendre à personne, le soin d'apprécier, de noter et de choisir entre ce qui est bon et ce qui est moins bon, ce qui serait éligible à certaines politiques et ce qui ne le serait pas.

 

Il ne faudrait pas que ce soit le cas car, tout ce qui éloigne du populaire, éloigne de la culture !

 

Disant cela, je pense à ce magnifique discours que JMG Le Clézio a prononcé en décembre 2008, au moment où il recevait le prix Nobel de littérature ; je me contenterai de dire que l’aventurière conteuse, Elvira, à laquelle il dédie son prix Nobel n'était ni littéraire ni universitaire, Mais elle parvenait à faire battre le cœur de ceux qui se reconnaissaient dans son art!

 

Je ne résiste pas à vous faire partager ce magnifique passage du discours de JMG Le Clézio : « ... elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature, et c’était là sans doute le plus grand paradoxe, que ce lieu isolé, cette forêt, la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l’endroit où l’art s’exprimait avec le plus de force et d’authenticité »

 

En réalité, c'est un peu la même chose que la Gwerz, dont François-Marie Luzel ne pouvait dire que ce qu'il en avait trouvé au moment où il écrivait ces lignes et je le cite : « Des chants souvent incomplets, altérés, interpolés, irréguliers, bizarres » mais, et je poursuis la citation, «qui va droit au cœur, nous intéresse et nous émeut par je ne sais quels secrets, quel mystère, bien mieux que la poésie d'art. C'est réellement le cœur du peuple breton qui bat dans ces chants spontanés ».

 

Etrangère aux querelles érudites et aux usages politiques qui pouvaient lui être assignés, la chanson vivait parce qu'elle exprimait une vision du monde partagée par ceux qui la transmettaient et le moins que l'on peut dire est que cette vérité était bien dérangeante.

 

Bref, c'est aussi cela notre enracinement et il y a un peu de cela dans toute l'oeuvre d'Anjela Duval, dans les écrits de Guillevic ;

C'est de « l’universel concret » et c'est la raison pour laquelle nous continuerons de plaider en faveur du développement de la transmission du breton populaire.

 

Je me suis autorisé à tirer ces enseignements de ton engagement d’homme et d’artiste parce qu'il ne faut jamais oublier d'où on vient et, d'autre part, parce que c'est souvent sur les terres laissées en friches que poussent les mauvaises herbes.

 

Merci Marcel pour la très belle et très grande leçon de choses que tu nous as léguée.

 

Gérard Lahellec, Lanrivain, Le 14 juin 2024.