Hommage à Jean Lejeune et à ce qu'a été la Résistance
Mesdames, Messieurs,
Cher-e-s Ami-e-s et Cher-e-s Camarades
Nous voici réunis dans notre diversité ici à Carhaix et il m’échoit le redoutable privilège de rendre hommage à un homme exceptionnel auquel notre pays (la France), notre département et notre Centre-Bretagne doivent beaucoup.
Cet hommage à Jean Lejeune sera donc celui de sa famille politique, de ses compagnons de route et de combats, mais aussi celui de l’ami qui, comme d’autres de ses contacts, avait plaisir à venir lui rendre une petite visite de temps en temps.
Jean nous a quittés ce jeudi 28 janvier et il s’en est allé comme il a vécu, simplement, sereinement et convaincu que le cheminement qui a toujours été le sien finira bien par triompher un jour. Certes, Jean était un peu idéaliste mais, le monde qu’il souhaitait, il l’avait imaginé comme un monde de générosité et de partage, un monde de liberté permettant l’expression de tout ce qui est beau. La musique avec une préférence personnelle pour Beethoven, la peinture, avec une préférence pour Van Gogh et la tapisserie dont il concevait lui-même l’expression. Avec toujours un peu comme le sentiment de ne pas être compris.
La vie de Jean Lejeune est l’itinéraire hors du commun d’un homme qui s’est toujours senti comme faisant partie d’un monde à partager avec ses semblables. Il était un homme parmi les hommes, passionné d’art et de culture en ne dédaignant au passage de suivre une course cycliste…
Né le 17 avril 1921 à Plévin, son père était ouvrier agricole tandis que sa mère tenait un petit commerce. Ce n’était pas l’abondance tous les jours et il fallait très jeune réfléchir aux moyens de sa survie. L’itinéraire de Jean va être celui d’un enfant poursuivant ses études jusqu’au certificat d’études primaires et c’est dans le prolongement naturel de ce cycle d’études qu’il optera pour suivre un apprentissage à la forge.
Comme beaucoup d’enfants des milieux populaires du secteur, il s’engagea en 1936 dans la Marine nationale à l’Ecole des mécaniciens de Lorient. Il intégra l’école des mécaniciens de l’Aéronavale à Rochefort en avril 1939. En 1940, Jean Le Jeune fut affecté au centre des prototypes de Saint-Raphaël, puis à Biscarosse et enfin à Rochefort où il fut grièvement blessé en juin 1940 lors des combats qui précédèrent l’armistice. Démobilisé, en convalescence, il revint en Bretagne en août 1941 reprenant son travail dans une forge à Plévin. Jean Le Jeune fut contacté par les militants des premiers triangles du PC clandestin, en particulier par Yves Grégoire et François Jégou. (Excuser absence de Bernard et de Amédée Perrot).
C’est ici que va se construire son magnifique itinéraire d’homme engagé qui lui vaudra, à 24 ans, d’obtenir la légion d’honneur pour faits de Résistance.
Arrêtons-nous un instant et essayons d’imaginer ce que cela représente en terme d’âge, d’engagements, de responsabilités et de prise de risques ! Durant la guerre, sous l’occupation, des hommes et des femmes de tous âges, souvent des jeunes, se sont engagés dans la résistance. Ils n’étaient pas des héros mais ils le sont devenus.
L’Historien Jules Michelet qui fut privé de son poste aux archives nationales après le coup d’état du 2 décembre 1851 a écrit (je le cite) : « la légende nationale de France est une trainée de lumière immense, non interrompue, véritable voie lactée sur laquelle le monde eut toujours les yeux ». La Résistance a, sans nul doute, prolongé ce rayon de lumière. Parmi ceux qui n’acceptèrent pas la soumission et l’asservissement, certains rejoignirent Londres et les forces françaises libres du général De Gaulle. D’autres nouèrent sur place les réseaux patriotiques pour développer les actions de Résistance. Jean Lejeune fut de ceux-là !
Moi-même originaire de Plufur, tout près de Lanvellec, je sais que la mémoire collective des résistants et habitants de notre coin ont encore de présent à l’esprit cet épisode du 21 février 1944 où Jean Lejeune, transportant des armes en provenance du Morbihan sur son vélo pour un groupe de Plestin-les-Grèves, fut interpelé par des gendarmes français. En tentant de s’enfuir, il fut blessé d’une balle dans le dos. Transféré à l’hôpital de Lannion, il est exfiltré le 9 mars 1944 par un groupe FTP venu de Saint-Nicolas-du-Pélem.
À peine remis sur pied, en avril, Jean Le Jeune fut nommé chef d’état-major des FTP en juin 1944. Le commandant Émile âgé de 23 ans dirigeait la principale composante des FFI du département (10 000 des 15 000 hommes à la Libération).
À la libération des Côtes-du-Nord, le « commandant Emile » Jean Le Jeune fut intégré à l’état-major FFI départemental puis mobilisé sur le front de Lorient, à la tête du bataillon FTP-FFI Guy Môquet. Démobilisé, Jean Le Jeune intégra la direction de la fédération départementale du PCF en 1945. Chargé de l’organisation d’un parti en pleine croissance (plus de 10 000 membres) dirigé par le menuisier de Lannion Jean Le Paranthöen.
En novembre 1945, Jean Le Jeune épousa Hélène Le Chevalier, résistante, responsable de l’UFF (Union des Femmes Françaises). Le PCF principale force politique du département avait alors deux députés (Guillaume Daniel et Marcel Hamon). En 1948, Hélène Le Jeune remplaça Auguste Le Coënt élu au Conseil de la république. En mars 1947, Jean Le Jeune fut élu premier secrétaire de la fédération des Côtes-du-Nord au congrès de Plérin et membre suppléant au comité central lors du XIe congrès du PCF, réuni à Strasbourg du 25 au 27 juin 1947.
Je ne retracerai pas ici toutes les contraintes qu’imposeront les déménagements et mutations imposés à la famille durant ces périodes compliquées où rien n’a été épargné aux militants qu’ils étaient. Sûrement que la famille eut à en souffrir. Mais je ne voudrais surtout pas oublier de mentionner ici la grande ingéniosité de Jean qui, pour les besoins de ses déplacements inventa et réalisa lui-même un vélo moteur et une automobile !
C’est aussi dans le prolongement de son engagement syndical de militant ouvrier que Jean rejoindra la région parisienne pour travailler au Centre Suzanne Masson, Centre de formation de la CGT.
Mais Jean ne se consolera pas de son éloignement de son Centre Bretagne et c’est ici qu’il reviendra prolonger son bel engagement d’homme solidaire, resté fidèle à l’idée communiste. Il conduira avec beaucoup d’enthousiasme et de générosité cet engagement auprès de Hippo et Léa Nicolas ; Léa qui nous a quittés il y a seulement quelques mois, et dont la disparition l’avait profondément bouleversé. Mais je suis sûr que Jean aurait aimé que je n’oublie pas de citer Gilles Thomas, le maire de Plussulien, Pierrette qui venait régulièrement lui rendre visité, Joelle Robin pour l’avoir accompagné chaleureusement dans toutes ces belles écritures. Pardonnez-moi de ne pas citer tout le monde…
Populaire et sensible, Jean adorait les siens. Mais il ne dissociait jamais cet amour des autres de la foi qui était la sienne dans l'engagement politique qu'il avait choisi en adhérent au PCF et auquel, contre vents et marées et en toute lucidité, il sera toujours resté fidèle. Il n’y a pas si longtemps, au cours d’une conversation, Jean m’avait fait part de deux réflexions qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire. Il m’avait dit avoir cru en l’émergence d’un nouveau monde qui ferait naître un nouvel homme…Mais m’avait-il dit, pendant que le Stalinisme produisait son cortège de malheur dans l’Est Européen, le communistes Français inventaient la sécurité sociale, les comités d’entreprises, les crèches, la fonction publique et le statut des fonctionnaires, le sport pour tous et l’accouchement sans douleurs.
Le cheminement de Jean dans la vie s’est construit beaucoup dans la Résistance et donc dans la rencontre avec autrui, avec des inconnus parfois.
Des noms de femmes et d’hommes. Des noms difficiles à prononcer, comme le disait Louis Aragon, le grand poète communiste, et comme le chantait si admirablement Léo Ferré, des noms qui expriment la diversité des origines, des parcours, des histoires personnelles. Des noms qui évoquent la solidarité internationale, des noms qui parlent de l’exil et qui évoquent parfois même des pays lointains.
Jean nous aurait rappelé que ces noms, tous ces noms, sont l’honneur de la France. Missak MANOUCHIAN avait 9 ans quand son père fut exécuté. Dix ans plus tard, il choisit la France, non par hasard, mais parce que c’était la patrie qui correspondait à ses rêves d’émancipation et de paix.
Preuve vivante, si l'on peut dire, que ces hommes venus parfois de loin, ces jeunes venus de tout près, prononçaient les mêmes mots au moment de mourir. Et puis, dans ces messages on parle de la paix qui était un autre combat que menait Jean Lejeune, ces jeunes combattants, s'adressaient à tout le monde pour qu’ils vivent en paix et en fraternité après une guerre dont ils étaient sûrs qu'elle ne durerait pas très longtemps. Ils allaient mourir et ils sont morts sereins puisque jusqu’au bout, là où ils sont tombés, ils étaient sûrs de la justesse de leur cause.
Des mots sont difficiles à utiliser pour rappeler ce qu’ont été ces hommes ou ces femmes, compagnons de combats de Jean Lejeune et on se se pose toujours la même question: comment ont-ils pu trouver en eux-mêmes cette capacité d’agir, ce courage, cette bravoure ?
Régis DEBRAY a eu les mots pour qualifier ces hommes ou ces femmes : « ordinaires qui ont accompli l’extraordinaire ». Des hommes et des femmes qui ont obéi à ce qu’il y a de plus noble en chacun d’entre nous. Qu’ont-ils cherché ? A servir le destin collectif de la communauté humaine mais l'engagement particulier de Jean a été de prolonger ce combat pour l'humain et au service de l'humanité jusqu'à son dernier souffle,
Ce sont des exemples dont nous avons besoin encore aujourd’hui pour nous dépasser, parce que c’est le sens de l’action que nous devons engager, et nous réconcilier autour d’une même fierté, celle de porter des valeurs. La plus grande fierté en ce triste jour va à celles et à ceux qui ont eu la chance de partager ces valeurs avec Jean Lejeune. Il a incarné cette générosité, cette bonté populaire et cette exemplarité humaine devant laquelle nous nous inclinons aujourd'hui.
Merci Jean de l'avoir fait et de nous avoir convaincus par ton exemple. Tu nous as montré qu'il ne faut pas de tout pour faire un monde, tu nous as montré qu'il faut du bonheur, du bonheur et rien d'autre, comme l'a si admirablement écrit le poète Paul Eluard.
En guise d’adieu à Jean, j’ai retenu la dernière strophe du poème de Louis Aragon intitulé : « que la vie en vaut la peine »
Malgré tout je vous dis, que cette vie fut telle,
A qui voudra m’entendre, à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.
Adieu Jean